Interview d'Annette Porter
Annette, lorsque vous avez été confrontée au diagnostic de cancer du sein vous avez effectué beaucoup de recherches. Vous avez approché le sujet comme journaliste. Qu’auriez-vous souhaité savoir dès le début ?
Lorsque que j’ai été diagnostiquée pour la première fois pour mon cancer du sein, j’ai souhaité avoir plusieurs « deuxième avis » (Second opinion).
Je continuais à rechercher la personne qui me dirait que toutes les autres personnes avaient tort. Je recherchais un médecin qui me parlerait à mon niveau et j’ai finalement trouvé quelqu’un qui m’a tout expliqué.
Il me donnait le conseil judicieux suivant: « En réalité il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas, mais en finalité c’est à vous de décider le type de traitement que vous souhaitez et puis une fois décidé il faudra y croire à fond ». Ceci est très important, choisir le type de traitement le mieux adapté à votre cas. Ceci est aussi vrai lorsque vous pensez à la reconstruction des seins. Certaines femmes préfèrent ne pas avoir de poitrine après une amputation, d’autres pensent qu’une reconstruction de leur poitrine est pour elles la meilleure solution. Il aurait été préférable de connaître à l’avance toutes les options disponibles. Après pas mal de travail de recherche j’ai trouvé ces options mais il est très souhaitable que ces informations soient accessibles à toutes les femmes.
Vous avez développé un arbre de décision, repris sur ce site – un modèle à suivre pour déterminer les conséquences de certaines décisions. Pourquoi cet arbre de décision a-t-il été ci utile pour vous ?
J’ai développé cet arbre de décision pour me permettre d’identifier les conséquences de mes choix à court et moyen terme.
Il m’est apparue qu’une prise de décision serait plus simple si les réponses à toutes mes questions étaient disponibles sur une seule et même source: si je fais tel choix quelles sont les conséquences possibles endéans les prochaines cinq années – en terme de probabilité de survie, nécessite d’interventions supplémentaires, grossesse, coûts, temps de récupération…?
Si, par exemple, je choisis pour une chimiothérapie qu’elle en est l’impact sur mes chances de survie? Combien de types de chimiothérapie sont disponibles et quelles en sont les conséquences, le coût? Ou bien, si je choisis pour une reconstruction des seins avec implant cela signifie t-il que j’aurais besoin d’une deuxième intervention chirurgicale après 3 ou 4 ans? Avoir ces informations disponibles sur ces sujets faciliterait une prise de décision bien réfléchie.
Quel traitement avez-vous choisi ?
Apres qu’un diagnostic du cancer du sein a été posé, j’ai subi une tumorectomie suivi d’une chimiothérapie et une radiothérapie. Ce traitement était très lourd, mais j’ai été également surprise de constater que c’était aussi difficile après le traitement. Auparavant je n’avais pas conscience combien angoissant cela pouvait être après le traitement.
Durant le traitement j’étais en permanence très occupée. Dès la fin du traitement, j’avais l’impression de devoir continuer à me soigner afin de prévenir une rechute. Cela m’a pris un certain temps pour me détacher de ces choses et de pouvoir me détendre à nouveau. Apres la fin de la thérapie j’étais préoccupée d’une possible rechute au moindre problème. Ainsi j’interprétais un rhume comme une tumeur au nez et devais me convaincre, non ceci n’était qu’un rhume banal.
Apres ma rechute j’ai choisi pour une amputation totale de la poitrine – en partie parce que j’avais déjà reçu la dose maximale de radiation, j’optais pour une reconstruction de la poitrine. Je devais évaluer un nombre de possibilités : implants ou pas, une reconstruction avec des muscles ou des lambeaux cutanés. En finale j’ai opté pour une reconstruction DIEPqui s’est faite au même moment de mon amputation.
Votre rechute s’est produite 18 ans après le premier diagnostic de cancer du sein. Pendant cette période quel ont été les changements en termes de recherche et options de traitements ?
L’internet a rendu les choses plus faciles. La première fois j’ai été voire de nombreux médecins et j’allais dans les bibliothèques. Des amis m’accompagnaient pour mes consultations avec les médecins et ils prenaient des notes. Durant ces 18 années les options de traitements ont beaucoup évoluées et les probabilités de survie se sont améliorées de manière significative. Il y a aussi eu une évolution importante dans le domaine de la reconstruction de la poitrine. Mais j’ai été surprise de découvrir que les avancées techniques n’étaient pas du même ordre que les évolutions incroyables enregistrées sur le plan de la chirurgie esthétique générale: beaucoup de femmes se voyaient proposer les mêmes options de traitements appliqués à mon cas autant d’années au paravent.
Avez-vous eu le sentiment de retrouver votre corps après avoir été dans les mains des médecins pendant une longue période?
Absolument. La procédure est très invasive: le temps et votre corps semblent ne plus vous appartenir. Pendant les deux périodes je souhaitais revenir à ma vie avant mon cancer, avant ma rechute.
J’ai survécu à un cancer du sein, et ceci détermine certainement qui je suis aujourd’hui, mais ne détermine pas tout mon être.
Le cancer du sein est une de mes nombreuses « cicatrices de la vie ». Ainsi ai-je aussi une cicatrice à la main lorsque très jeune je passai à travers une fenêtre, une au genou lorsque j’apprenais à faire du vélo et maintenant aussi une petite cicatrice à la poitrine après ma reconstruction.
Par ailleurs vous expliquez que les différents forums ont été importants comme supplément au dialogue avec les médecins.
Oui, j’ai trouvé que le contact avec d’autres femmes qui ont subi le même processus était très utile. Par exemple les médecins ne pouvaient pas me dire comment j’allais perdre mes cheveux – en une seule fois ou graduellement ? Comment allaient-ils repousser. Ces femmes qui ont subi le même parcours pouvaient l’expliquer. Une des choses que nous souhaitons obtenir avec cette fondation est de faciliter le contact entre femmes, de créer un lieu sûr pour pouvoir toutes ces questions.
La fondation à un message fort concernant la beauté, notamment que vouloir être belle après un cancer du sein n’était pas frivole ou injustifié. Pourquoi pensez-vous que le sentiment de « demander trop » existe concernant la beauté après le cancer du sein?
Il existe une opinion répandue que vous devriez être très reconnaissante d’avoir eu un traitement contre le cancer du sein et qu’il ne faut pas s’inquiéter des conséquences esthétiques. C’était comme si essayer de réapparaître comme avant le cancer du sein était une vanité frivole et que vous en demandiez trop. Je trouve ceci absurde surtout parce que nous vivons dans un monde fou de chirurgie esthétique. Subitement, lorsqu’il s’agit de cancer, l’esthétique devient non-importante.
Je pense qu’il y a quelque chose d’erroné dans « vouloir être belle » après un cancer du sein. Il serait préférable de constater qu’il y a eu beaucoup de progrès en chirurgie esthétique et que l’on a, en même temps, réfléchi à tous les aspects de la reconstruction de la poitrine et ne pas considérer ceci comme accessoire. Je ne trouve pas qu’il faut faire un choix, se concentrer sur la lutte contre le cancer du sein ou sur le résultat esthétique final. Pourquoi ne pas se concentrer sur les deux aspects?
Je n’oublierais jamais le moment ou un chirurgien me disait qu’en termes de reconstruction des seins je mettais la barre trop haute. Je devais me contenter d’un beau galbe de poitrine que les habillements pouvaient me procurer. Je pouvais tout aussi bien prendre une chaussette de mon tiroir! Non, mon objectif était d’être bien déshabillée.
Toutes les options de traitement ne donnent pas les résultats escompte par la femme. Je connais pas mal de femmes qui finissent avec des implants parce que c’était la seule option qui leur a été présentée. Des implants nécessiteront, à long terme, des interventions supplémentaires et donnent souvent de médiocres résultats esthétiques. Apres une amputation complète du sein il ne reste plus de tissus pour placer l’implant. La formation de tissus cicatriciels autour des implants peut être aussi douloureuse.
Pour vous, regagner son intégrité corporelle est un pas important pour revenir à la normalité.
Chacun décidera pour soi-même. Ma reconstruction des seins me donnait l’impression de récupérer ma vie, me donnait à nouveau un peu de contrôle sur moi. Revoir chaque matin dans le miroir la cicatrice de mon amputation du sein, chaque fois être à nouveau confrontée avec le cancer, je ne le voulais pas. Je parle très ouvertement de mon expérience et donne souvent des présentations concernant le cancer du sein. Cette reconstruction m’aide à placer ce cancer en perspective – il fait partie de ce que je suis, mais ne me détermine pas entièrement.
Quel est votre conseil aux femmes diagnostiquées avec un cancer du sein?
Restez comme vous êtes, ne cachez pas aux médecins votre vraie personnalité. Demandez à votre médecin qu’il vous consacre le temps nécessaire, évitez de devenir simplement un numéro de dossier. Je suis très favorable à l’idée d’emmener quelqu’un à la première consultation pour que cette personne vous aide à bien écouter et prendre des notes. Je suis tellement reconnaissante envers ces personnes car après je me suis aperçue que je ne pouvais me rappeler des parties entière de la conversation. Utilisez votre réseau de support. J’ai eu beaucoup de chance avec mon incroyable réseau d’amis et famille sur lesquels je pouvais toujours compter. Apres avoir été la première fois diagnostiquée avec un cancer du sein mes amis m’ont aidés avec le travail de recherche. Un autre ami qui après avoir perdu mes cheveux à la suite de la chimiothérapie a organisé une réunion durant laquelle chacun devait apporter une écharpe ou un bonnet. J’avais aussi mon « noctambule » que je pouvais appeler à chaque heure de la nuit quand tout le monde semblait dormir et que je me sentais vraiment seule.
Il a été très difficile d’informer mes amis de ma rechute puisque je savais combien ils espéraient que je sois guérie définitivement. Je les informais de la mauvaise nouvelle et recevais à nouveau une véritable leçon de vie, notamment que vous pouvez redemander de l’aide à vos amis. Je souhaite encourager les femmes à rechercher de l’aide auprès d’amis et la famille et/ou contacter des groupes de soutiens et forums. Vous ne devez pas être seule à parcourir ce chemin, je crois que le cancer doit être vécu comme un sport d’équipe.
Diriez-vous que le cancer vous a changé?
Oui, je crois bien que c’est le cas. Je dis souvent que pour moi avoir un cancer est comme faire une sauce épaisse. Toutes les choses non essentielles ont disparues par le processus – et me laissait ensuite uniquement avec l’essentiel de qui je suis – plus forte, peut-être pas au gout de tout le monde, mais sincère. Je pense être maintenant plus détendue et pouvoir plus relativiser – il va sans dire que je suis encore parfois irritée dans un embouteillage. J’ai encore et toujours des moments difficiles mais en général je ne suis pas préoccupée par ce genre de choses. J’ai appris comment se libérer, faire tout son possible, sur le travail de recherche jusqu'à trouver des médecins fantastiques, mais aussi comment prendre des décisions bien réfléchies et de choisir un style de vie sain et enfin aussi appréhender les conséquences. Je ne dirais pas évidemment que je suis contente d’avoir eu un cancer mais je suis exaltée des leçons de vie qui en découlent.
D’une certaine manière vous essayez de transmettre ces leçons de vie aux personnes proches de vous.
Le cancer m’a confrontée à la mortalité et d’une certaine manière ceci était encourageant. Comme la plupart des personnes, je pense, je n’y avais jamais pensé et je me cachais derrière un faux sentiment d’immortalité. J’ai découvert en moi une force dont je ne soupçonnais pas l’existence. J’essaye aussi de ne plus perdre de temps et j’ai développé une autre attitude envers les risques. J’essaye de ne plus me préoccuper de ce que les autres pensent, je suis très reconnaissante et ai une vue positive sur la vie. Reconnaître que la vie est passagère ne la rend que plus agréable. Le cancer vous apprend à vivre avec l’incertitude et vous apprend à prendre des décisions bien réfléchies sans les regrets par après.